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Lettre ouverte à Frans TIMMERMANS, Vice-président exécutif de la Commission Européenne

« Il va falloir choisir entre la voie de la libéralisation incontrôlée des échanges et celle du relèvement de nos standards de production »


Bruxelles, le 7 février 2023 

Monsieur le Commissaire,   

Depuis le début de ce mandat vous ne ménagez pas votre énergie pour promouvoir et défendre le Pacte Vert, y compris sa déclinaison agricole et alimentaire, Farm to Fork. C’est un engagement que je ne peux que respecter. Mais je dois vous avouer que ce respect vacille quand je vous découvre ces derniers jours en promoteur tout aussi enthousiaste de la ratification de l’accord de libre-échange entre l’Union Européenne et le Mercosur.   

Je fais depuis longtemps partie de celles et ceux qui déplorent le manque de cohérence entre nos grandes politiques européennes, qui est souvent le résultat d’un travail en silo des différents acteurs (les services de la Commission notamment, souvent, mais je ne dédouane pas complètement les autres institutions y compris celle à laquelle j’appartiens). Le citoyen que je suis est souvent dérouté, régulièrement agacé, quand il s’aperçoit que deux bâtiments de la rue de la Loi travaillent en parallèle, sans se parler, parfois même sans se connaître, sur des objets communs. C’est fréquent.   

Mais quand deux agendas à mes yeux parfaitement contradictoires semblent se confronter dans un même cerveau, là je suis vraiment perplexe.   

Vous ne pouvez pas d’une main porter le renforcement des règles du jeu pour l’agriculture européenne (au service d’objectifs de durabilité qui sont fondamentaux et que je partage, je le précise) et de l’autre plaider de vos vœux pour que notre marché s’ouvre davantage à des produits venus de pays où ces règles n’ont pas cours. Vous ne pouvez pas dire aux agriculteurs européens : faites mieux et, pendant ce temps, acceptez que je vous mette davantage en concurrence avec des agriculteurs qui font moins bien. C’est parfaitement impossible à entendre.   

L’agriculture sud-américaine, du moins celle qui exporte massivement sur les marchés mondiaux, est à des kilomètres de l’agriculture européenne, tant en termes de structures de production que de normes en matière sociale, environnementale et de bien-être animal. Un jour, peut-être, et je ne nie pas certains efforts de la Commission ni même des pays concernés dans ce sens, ces normes se rapprocheront des nôtres. Mais nous en sommes très loin. Et en attendant, l’élevage bovin, avicole, la production de sucre ou encore de maïs, pour ne pas toutes les citer, risquent d’en souffrir violemment, alors même qu’elles sont mises sous pression de contraintes qui ne cessent de s’ajouter.   

Vous me direz que ces contraintes résultent de demandes sociétales incontournables. C’est globalement vrai. Mais ouvrir la porte aux importations low-cost, c’est tromper cette société et ces consommateurs. Vous me direz que d’autres secteurs économiques y compris certains pans de l’agriculture européenne, ont à gagner à cette libéralisation des échanges. C’est vrai. Qu’en moyenne on y gagnera. Peut-être. Mais les territoires d’élevage et de cultures qui, eux, y perdront, ne trouveront aucune compensation dans ce bilan potentiellement positif. C’est le lot de ces secteurs, toujours les mêmes, qui servent de variable d’ajustement dans les traités de libre-échange. Et qui se sentent ignorés, plus encore quand ils voient que le texte ne bouge plus, qu’ils entendent parler d’accord scindé et de passage en force.   

Vous me direz peut-être aussi que la PAC est là pour pallier ces décalages. C’est discutable car elle n’a pas été faite pour cela et qu’elle a beaucoup d‘autres objectifs à remplir. Mais ce qui est certain, c’est que son budget ne cesse de diminuer alors que nos standards ne cessent de s’élever.     

Si un jour, qui je l’espère n’arrivera pas, notre Union Européenne ratifie en l’accord avec le Mercosur en l’état, je considèrerai pour ma part que le Pacte Vert, que je n’ai jamais hésité à défendre dans ses fondements y compris face aux plus dubitatifs, ce pacte sera rompu ou du moins largement entaillé et je n’aurai plus du tout envie de me fatiguer à le justifier. Et j’ai de bonnes raisons de croire que je ne serai pas le seul à avoir cette réaction.  

Je ne suis pas naïf. Je sais que cette contradiction, qui est pour moi flagrante, entre Mercosur et IED, entre Mercosur et Restauration de la Nature, entre Mercosur et SUR, entre Mercosur et révision des normes en matière de bien-être animal, beaucoup ne la voient pas et préfèrent se dire que ce n’est que la mauvaise humeur de ces protectionnistes de Français ou de ces conservateurs d’agriculteurs. Je vous implore, comme tous ceux qui peuvent penser cela, d’ouvrir les yeux et de voir que c’est la cohérence et donc la crédibilité de notre projet européen qui est en jeu, bien au-delà de l’agriculture, pour des millions de citoyens qui tendent de plus en plus à préférer le repli sur soi nationaliste.   

Je ne suis pas résigné non plus. Je suis sûr que nous parviendrons un jour à mieux commercer avec le reste du monde. C’est très bien, le commerce. Mais uniquement si c’est sur des bases équitables, sinon ce sont les plus faibles qui perdent, des deux côtés d’ailleurs. Un jour, je l’espère, nous retrouverons un cadre multilatéral de commerce. Un jour nous saurons traiter l’agriculture et l’alimentation, des besoins humains essentiels, avec un peu plus de considération, dans un cadre de négociation dédié, et ne plus les échanger contre des portières de voitures.   

En attendant, je serais rassuré par un peu plus de cohérence de la part de notre pouvoir exécutif et de ses leaders, au moins dans le discours. Je ne sais pas ce qui anime vos prises de positions répétées de ces derniers jours - elles visent peut-être à consolider votre stature politique, à mes yeux elles tendent plutôt à l’affaiblir - mais je me permets de vous inviter, en tant que premier vice-président de la Commission Européenne, à considérer qu’il va tout simplement falloir choisir, au moins en matière d’agriculture, entre la voie de la libéralisation incontrôlée des échanges et celle du relèvement de nos standards de production.     


Je vous prie de recevoir, Monsieur le Commissaire, mes cordiales salutations.          

Jérémy DECERLE, Député européen

À propos de Jérémy DECERLE

Député européen, élu sur la liste L’Europe ensemble, Jérémy Decerle est membre des commissions de l’Agriculture et du Commerce international. Ancien Président du syndicat Jeunes Agriculteurs, il est agriculteur en Bourgogne-Franche-Comté.   

Contact Jérémy DECERLE 

jeremy.decerle@europarl.europa.eu

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