Actualités

Ne laissons pas nos ambitions commerciales européennes saper la durabilité de notre agriculture !

Pour beaucoup à Bruxelles, la France est souvent vue comme l’épine dans le pied des coureurs en perpétuelle poursuite de toujours plus de libéralisation des échanges commerciaux, à n’importe quel prix. Pourtant, ce n’est pas seulement la France (où une résolution va être déposée à l’Assemblée nationale) qui se positionne, mais aussi, surprise, la chambre basse néerlandaise qui a adopté la semaine dernière une motion rejetant l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur si l’agriculture n’en est pas retirée. Tiens donc, les Hollandais ? Ça alors, l’agriculture ? Quoi, le protectionnisme à la française s’accommoderait au libre-échangisme sauce hollandaise ?  

On ne devrait pourtant pas s’en étonner. On ne devrait pas s’étonner que la pression considérable sous laquelle se trouve l’agriculture néerlandaise ces derniers mois, sommée de fermer ou délocaliser ses élevages (il est vrai extrêmement concentrés dans certaines zones) vienne se heurter aux promesses d’arrivée massive de poulets brésiliens aux conditions d’élevage très éloignées des standards en vigueur en Europe... au point de faire tiquer même un pays étendard du commerce mondial, et notamment le parti du Commissaire Frans Timmermans (l’architecte du Pacte vert européen mais aussi défenseur du Mercosur) qui ne doit pas se sentir très à l’aise ces jours-ci ! 

Et vraiment, on ne devrait pas s’étonner que ce soit l’agriculture qui pose problème. C’est souvent l’agriculture qui pose problème. C’est l’agriculture (indienne) qui a fait capoter la dernière tentative de négociation multilatérale à l’OMC (cycle de Doha). C’est l’agriculture qui fait l’objet de contentieux dans les accords nord-américains entre les États-Unis et le Canada, c’est le secteur agro-alimentaire qui met au défi le protocole nord-irlandais dans l’application du Brexit, c’est l’agriculture qui concentre les critiques sur les accords de partenariat économique de l’Europe avec l’Afrique. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce n’est pas un secteur comme les autres. Qu’il est non seulement stratégique mais aussi tributaire de besoins basiques, vitaux, quotidiens. Que l’alimentation ne se délocalise pas sans un coût économique, social et environnemental considérable. Qu’on ne peut pas demander à la fois plus de règles sur la production et moins sur le commerce.  

Impossible de passer à côté du sujet, il y a deux semaines, dans les allées du salon de l’agriculture à Paris. Impossible de ne pas sentir que l’injonction contradictoire qui menace les agriculteurs - « produisez toujours mieux mais acceptez qu’on importe toujours plus de pays qui produisent moins bien que vous ! » - est intenable, au point de faire malheureusement douter certains du projet européen. Impossible de ne pas entendre l’incompréhension totale face par exemple à cette directive qui prévoit de considérer dorénavant comme industrielles des fermes d’élevage françaises moyennes, avec les charges administratives et financières que cela implique mais sans le service RSE pour gérer. Difficile d’expliquer comment le règlement sur l’« utilisation durable des pesticides » va précisément se combiner avec celui sur la « restauration de la nature » et quelles garanties on a de ne pas subir au passage des chutes de production et de revenu. Difficile d’expliquer à un secteur bovin français qui a perdu 800.000 vaches en six ans qu’on se prépare à augmenter les contingents d’importation de viande d’Australie ou d’Amérique du sud.  

Car oui, notre Europe est parfois schizophrène. Elle veut relever ses standards de durabilité pour son agriculture (à juste titre, les citoyens le demandent) mais est prête quand elle commerce avec le reste du monde à ne pas se soucier, ou à peine, des produits qui rentrent et des conditions dans lesquelles ils ont été produits. Ça ne va pas. Ce n'est pas équitable vis à vis des producteurs et non plus honnête vis à vis des consommateurs. Le problème se pose pour la viande bovine. Et pour la viande ovine. Et pour la volaille. Et pour les produits laitiers. Et pour le maïs. Et pour le sucre (et l'éthanol). Et pour les bananes. Bref, arrêtons de croire que c’est marginal. En fait, une fois encore, c’est l'alimentation, dans son ensemble, qui est sensible, et demande un peu plus de considération.  

Comment s’en sortir ? D’un côté en plaidant, en tant qu'Europe, pour faire progressivement reconnaitre nos standards de production y compris environnementaux et de bien-être animal au niveau international. En traitant l'agriculture et l'alimentation à part dans les négociations commerciales, par exemple dans des chapitres dédiés, et non pas négociés en dernier après tout le reste, parce que là on est sûr qu’elle servira de variable d'ajustement. En cherchant à retrouver des cadres multilatéraux où la souveraineté alimentaire, la réduction des dépendances, soient reconnues comme des objectifs légitimes pour tous les continents. Et, en attendant, évidemment, en ne ratifiant pas n'importe quoi. 

De l’autre, en arrêtant de vouloir mettre la tête sous l’eau de notre agriculture et de nos agriculteurs sous des litres d’exigences peu lisibles, peu coordonnées et, il faut bien le dire, pour certaines, éminemment technocratiques. En arrêtant les surenchères médiatiques déraisonnées des spécialistes de l’anti-tout qui dénoncent à tour de bras les « méga-bassines », l’élevage, qui ignorent en fait absolument tout des réalités agricoles et rêvent de tours de salades et de viande de synthèse. En pensant la résilience des systèmes agricoles, la prévention des risques, la gestion collective de l’eau, la répartition de l’élevage sur les territoires, l’amélioration de la contribution agricole à l’atténuation du changement climatique et au stockage de carbone. En essayant de se donner des critères globaux sur la durabilité de l'agriculture et en encouragent ces modèles, en les rémunérant. Avec des objectifs clairs, lisibles pour tous, mais de la progressivité, du temps de l'accompagnement. Par exemple en passant par les jeunes et en profitant de la transmission des fermes.

Il y a une voie de progrès devant nous. Notre agriculture est la plus encadrée au monde, et si elle peut et doit continuer à avancer sur le chemin de la durabilité, elle ne le fera que si l’Union européenne se donne pour mission de remettre enfin de la cohérence dans nos objectifs politiques communs.  L’Europe doit rester au service des gens en assurant la paix et la prospérité, mais aussi garantir l’alimentation dont nous voulons : alors mettons-nous au travail solidement et sérieusement pour préserver sans doute la plus belle richesse de notre continent, son agriculture, et surtout celles et ceux qui nous nourrissent !

Jérémy DECERLE


Reprise partielle de la tribune par le journal Les Echos publiée le 23 mars en version numérique et le 24 mars en version papier.

Adoption du Rapport d’initiative du Parlement européen sur le Renouvellement des Générations en Agriculture
20 déc. 2023
L’adoption à une large majorité du Parlement européen du rapport d’initiative sur le renouvellement des Générations en Agriculture passe un message clair: arrêtons de perdre des paysans.
Rapport DECERLE sur les données agricoles adopté en plénière le 17 octobre 2023
20 déc. 2023
Le Parlement a adopté l'accord interinstitutionnel pour convertir le réseau d’information comptable agricole (RICA) en réseau d’information sur le développement durable des exploitations agricoles.